8H54, je saute dans le train. Je
slalome entre les mamies, les travailleurs pressés, les valises –chiens qui dégueulent de
souvenirs de vacances, ou de promesses de quiétude au bord d'une plage.Ca
faisait un bail… Ca ressemblait à un retour de week- end. Une fois, arrivée, les annonces SNCF, les
bousculades, l'odeur de chaud des freins, le flot continue des automates
encravatés. Je mêle à la foule, j'accélère
le pas, je maudis les touristes. J'inspire, j'expire… Je redeviens une ombre de
plus parmi les ombres.
Je connais la musique, je connais
les pas. Je descends les escalators. Je prends à gauche, ligne 14. Soudain, je
réalise ou je vais, et j'ai peur. Je
tremble de le revoir. Et si je n'avais rien à lui dire, et s'il voulait me
mettre en boite, et si j'annulais… Après tout, j'ai un entretien après, je ne peux
décemment pas me présenter, les yeux rougis et gonflés de larmes. Et si tout se
passait bien ? Si je trouvais des réponses …
Je suis là, je ne peux plus
reculer. Je lui confirme l'horaire, comme ça c'est sûr je ne pourrais plus
renoncer à la dernière minute. Les heures s'étirent, puis s'affolent… Il est
tant d'y aller, ça sera même un peu juste pour être à l'heure. Je me précipite dans le métro. Je me trompe de ligne. Je sors. Je retourne
sur mes pas. C'est sur, je vais être en retard. Et pourtant, je connais le
chemin.
J'arrive la première. Ca me
rassure quelque part, et renforce mon stress. Les métros défilent sous mes
yeux. Soudain, je reconnais sa silhouette. Reconnaissable entre toutes, parmi
ces automates. Je me dis chouette, il n'a pas été formaté, par les standards
écrasant de la ville. Il s'avance vers moi… L'angoisse atteint son paroxysme…
Plus que quelques pas qui nous séparent… Le voilà … Dans ma tête des
informations affluent, j'ai peur, je suis heureuse. Il avance avec nonchalance,
et c'est divin… Même si à ce moment précis, je ne connais plus la danse, ni les pas, je me laisse diriger par les siens.
S'en suit nos errances, pour
trouver où déjeuner… Le temps qui file trop vite. Je ré apprivoise, ses
mimiques, ses yeux. Je redécouvre avec bonheur, ses sourires, sa douceur. L'espace
de quelques moments, je me plais à rêver à si, tout ce fatras de dégâts. Etrangement, je me sens bien, je voudrais que
les heures s'étirent un peu, pour nous laisser un peu de répit. J'ai envie
encore de boire ses paroles, m'envelopper de son regard. Je le suis, pour
allonger le temps. Mon entretien tout cela, n'a plus d'importance. L'objet de
ma venue est autre, je cherche en lui des questions, des réponses, des
affirmations. J'obtiens tout cela, et je le découvre à nouveau. Comme depuis
cette fenêtre, un soir de mai, je vois ses changements. Sa personnalité, plus affirmée.
Ce chemin, qu'il a parcouru sans moi, jusqu'à ses 27 ans, que j'ai du mal à lui
donner… C'est comme si hors de sa vie, je n'avais pu admettre que loin de moi,
il a vieillit. Le temps s'était arrêté là, dans cet appartement. Aujourd'hui, il
s'arrête sur le quai du bus 177, enfin pas vraiment…
Avec tendresse et émotion, je
revis le moment. Je le passe en boucle dans ma tête, en songeant à ce qu'on
était, ce qu'on est devenu, et ce qu'on sera demain. Je garde ça bien au chaud,
même si c'est bouleversant, mais profondément plaisant. Il y a des choses, pour
lesquelles on a rarement de certitudes, et pour d'autres, cela semble tellement
évident, qu'on se demande quelle mascarade on joue. On joue pas la vie, c'est
elle qui se joue de nous, et elle a bien raison.